Recueillement

Hugo se sentait vide. Le nom écrit sur la tombe lui était familier, aussi familier que celui d'un frère, mais il ne ressentait pas ce que l'on ressentait habituellement lorsqu'on perdait un membre de sa famille. Pas de douleurs en lui, pas de haine à l'égard de son père, rien. Juste cet habituel néant. Hugo avait peut-être l'impression qu'une partie de lui manquait, tout au plus, mais c'était tout. Il n'avait pas connu son propre frère, Jake Kedzierski, et il n'avait pas de raison de le regretter, si ce n'était de ne pas l'avoir connu. Comment aurait été sa vie, s'ils avaient grandi ensemble ? Il était huit heures du matin, heure à laquelle le cimetière n'était pas vraiment bondé. Il y avait juste un couple de personnes âgées qui se tenaient près d'une tombe, à quelques pas de Hugo. Le jeune homme compatissait à leur douleur. Il connaissait leur histoire : ils avaient perdu leur fils, âgé de même pas cinquante ans, qui avait été à moitié dévoré par une bête sauvage. Cela semblait devenir de plus en plus courant, ces derniers temps ; il devait y avoir anguille sous roche. Ou pas. Lui, Hugo, ne comprenait pas vraiment ce qu'il était venu faire sur la tombe de son frère jumeau, mort alors qu'ils n'étaient encore que des bébés ; il ne ressentait pas vraiment de manque. Mais parfois, il avait besoin de se souvenir. Il porterait la mémoire de ce frère noyé jusqu'à la fin de ses jours. Ça aurait pu être lui...

Le couple finit par s'en aller, laissant Hugo totalement seul dans le cimetière. Le jeune homme se mit alors à sourire, se sentant alors libre de pouvoir dire tout ce qu'il avait sur le cœur. Il avait fait de son frère décédé une sorte de confident d'outretombe. Ce qu'il lui disait ne serait jamais répété, toujours conservé au plus profond de la mort. C'était aussi une manière de faire vivre son frère par procuration. Un peu bizarre, comme situation, mais Hugo avait besoin de se dire qu'il ne l'oubliait pas. Comme cela faisait un moment qu'il n'était pas venu, il commença à lui raconter tout ce qu'il ne savait pas. Sa relation avec Asher occupait la majorité de son discours, à présent : les cours se ressemblaient tous, et ses amis ne posaient pas autant de problèmes que son copain. Il se demandait ce que Jake pouvait penser du petit ami de son frère vivant. Sans doute qu'il devait tout savoir, vu qu'il était au ciel ; c'était assez peu rationnel de donner tant d'importance à un mort, absolument indigne d'un mathématicien, mais le jeune homme avait aussi besoin de croire un peu au surnaturel. Croire que son frère le voyait, c'était réconfortant, d'une certaine manière. Et c'était aussi une faiblesse qu'il ne préférait pas avouer.

« Tu comprends, poursuivit Hugo d'un ton triste, j'ai parfois l'impression qu'il sait tout de moi, mais que lui m'échappe. J'ai peur de ce qu'il peut me cacher. Peur que cela me fasse du mal... mais surtout peur que cela lui nuise, à lui. »

Tout à coup, il entendit un bruit de pas, et se retourna. Son sang se glaça lorsque son regard tomba sur la dernière personne qu'il aurait eu envie de voir alors qu'il faisait des confidences aussi intimes. Qu'allait-il penser ? C'était déjà assez ridicule de parler tout seul devant une tombe, et de façon distincte en plus, de sorte qu'il avait sans doute entendu parfaitement la fin du discours de Hugo. Mais en plus, il allait comprendre que c'était d'un homme dont il parlait, et plutôt amoureusement. Ô misère. Hugo ne voulait pas le voir s'immiscer dans son couple.

« Hm, salut. Désolé de parler tout seul, j'espère que je t'ai pas dérangé dans ton recueillement... Je vais me taire. Pardon pour le dérangement. »

Il lui adressa un sourire peiné, essayant de faire comme s'il n'avait rien dit de particulièrement choquant. Après tout, il n'avait rien dit de trop compromettant, non ? Et puis, d'abord, c'étaient ses affaires. Et il avait le droit d'être amoureux d'un mec sans qu'un autre vienne lui poser de questions, d'ailleurs.