J'avais trouvé la journée longue. Trop longue, j'oserais même dire. Mon patron était abominable avec moi, me refilant toutes les tables des mecs les plus idiots que j'ai connu. Mais je ne voulais pas me faire remarquer ici, et j'avais accepté sans rechigner. C'était sans recul que j'avais dit un mince "au revoir" à mes collègues avant de m'éclipser. Enfin, je respirais l'air frais de la petite ville de Tircelieu. Voilà quelques mois que j'étais ici et je m'étais bien habituée à ma petite routine quotidienne. Parfois, je me demandais évidemment ce qu'il se passait avec mes parents, qu'est-ce qu'on leur avait raconté à propos de ma disparition et surtout, j'appréhendais le jour où on partirait à ma recherche. Toutefois, pour le moment, je préférais ne pas y penser et vivre ma petite vie. Je fis un arrêt à mon appartement, question de changer mes habits de travail pour des vêtements plus confortables, et je pris ensuite le chemin de la forêt. Le seul endroit de la ville où j'étais normalement seule et où je me sentais bien. J'y passait des nuits, sous ma forme de louve certes, mais j'avais rapidement pris l'habitude de m'y rendre dès que j'avais un peu de temps. Empruntant mon chemin habituel, j'eus tôt fait de me rendre au centre de la forêt, marchant habilement entre les trous et les racines sans me tordre une cheville. Voilà quelque chose que j'appréciais de ma vie de loup; ma maladresse légendaire avait presque totalement disparue. Je fredonnais une chanson tout en marchant, mais une présence m'arrêta dans mon élan. Devant moi se tenait Jorge, un homme que j'avais rencontré quelques semaines plus tôt. Mes sourcils se froncèrent immédiatement à sa vue; c'était bien la première fois que je le croisais ici. Je ne pu m'empêcher de m'adresser à lui sur un ton des plus agressifs. « Tu fais quoi ici? » J'allais lui demander si il me suivait, mais je n'allais pas pousser trop loin. J'attendit sa réponse tout en soutenant son regard. 

À voir Jorge ainsi, n'importe quelle fille aurait été figée. D'accord, il n'était pas à plaindre physiquement parlant, j'oserais même dire pas déplaisant à regarder du tout, mais je n'étais pas ce genre de fille à tomber aux pieds d'un homme. Ce sont tous des idiots, sans exceptions. Après ma réponse, il s'était rapproché de moi sans aucune gêne. Sa proximité me mettait mal à l'aise, certes, mais je ne flanchais pas alors qu'il m'annonçait m'avoir suivie depuis mon travail. J'étais plongée dans un dilemme; vas savoir si c'était la vérité ou si il ne faisait que m'agacer. Je sentis un frisson me parcourir l'échine en pensant que quelqu'un pourrait très bien me suivre sans que je ne m'en rende compte. J'avais régulièrement la tête en l'air, surtout après une longue journée de travail. Alors que les idées se bousculaient dans ma tête, j'en oubliais presque la présence de Jorge près de moi. Difficile de faire abstraction de son souffle qui s'éternisait sur ma joue. Je pris une grande respiration avant de répondre sur le même ton que lui. « Avoue donc que tu ne peux pas te passer de moi depuis que l'on se connaît. » Je repris sur moi pour relever mes yeux vers les siens, un sourire moqueur sur les lèvres. Je ne pourrais dire ce qui se passait à ce moment, mais là, j'étais figée sur place, incapable de bouger. Je ne voulais pas reculer, je n'étais pas de ce genre, alors je me décidai à rester dans cette position, tout en soutenant son regard. Si je n'étais pas aussi orgueilleuse, j'avouerais qu'il me fait légèrement peur à cet instant. Je ne suis qu'une pauvre jeune fille sans défense devant un ex-flic. Et puis à cette heure de la journée, impossible de me transformer pour le déchiqueter en morceaux. De toute façon, je ne vois pas la raison pour laquelle je me transformerais en sa présence. Les gens de Tircelieu veulent éradiquer notre espèce de la ville; je sais j'en ait beaucoup entendu parler pendant que je travaillais. Si il découvrait ma vraie nature, je devrais le tuer et l'avoir pour souper et franchement, il m'amuse beaucoup trop pour que je puisse faire ça. Il y a bien des idiots moins importants qui peuvent me servir de dîner.  

Sa réponse ne m'avait pas surpris, bien au contraire. C'était bien son genre de se foutre de ma gueule et un simple sourire s'installa sur mes lèvres alors qu'il me parlait de lui, moi et le silence de la forêt. Je commençais à jouer le jeu, mais il me prit par surprise en posant ses mains sur ma taille et me faisant reculer contre un arbre en me disant que j'étais à lui. À cet instant, je ne bougeais plus. Je m'étais déjà fait parler ainsi auparavant et j'avais osé répliquer, chose que j'avais regretté ensuite. Mais il n'était pas comme cet idiot qui m'avait frappée et je savais très bien que c'était un jeu pour lui. Je me mis sur la pointe des pieds pour rapprocher mon visage le plus près du sien possible, tout en le fixant le plus intensément possible de mes yeux bleus. « Je n'appartiens à personne. » Mes deux mains se posèrent sur ses abdos pour le repousser et me libérer de son emprise. C'était plus dur que je ne le pensais. J'avais beau me tortiller dans tous les sens, ses mains me gardaient au même endroit. Je sais très bien qu'il se marrait à ce moment-là, de me voir ainsi, incapable de bouger. Abandonner n'était certainement pas dans mon vocabulaire, surtout pas en sa présence. Je ne suis pas faible et j'ai toujours obtenu ce que je voulais. « Lâche-moi ou je cris au viol. » L'image de moi qui hurle à en cracher mes poumons me fit esquisser un sourire. Ce serais mentir que de dire que je trouvais cette situation marrante, j'étais terrifiée, mais essayait le mieux possible de le dissimuler. Une fois de plus, je tentais de le repousser. Une telle proximité me rendait mal à l'aise; moi qui n'étais normalement jamais malaisée, je devais bien avouer que j'avais hâte de me sortir de cette situation. 

D'accord. J'avais peur. Impossible de me sentir bien en ce moment, même si j'essayais vainement de me défaire de son emprise. Comme je l'avais pensé, mes essais pour le repousser l'avait fait sourire, mais, personnellement, je n'avais franchement pas envie de me marrer. Au départ, j'avais immédiatement compris qu'il voulait jouer un jeu, mais là ça ne me plaisait pas du tout. Et j'étais tétanisée par la peur. Sa remarque sur mes cris qui seraient inefficaces ne m'avait pas surprise; j'étais au courant que personne n'allait m'entendre mais j'avais espéré qu'il ne s'en rende pas compte et que cette menace allait le pousser à me lâcher. Mais c'était sans compter qu'il était plutôt futé; j'avais oublié qu'il n'était pas aussi simple de le tromper. Pour rajouter au tout, il me repoussa encore plus avant de passer sa tête dans mon cou et déposer un chaste baiser. Ce geste eut l'effet de m'immobiliser. Je n'étais plus capable de respirer normalement; autant de proximité me rendait des plus mal à l'aise, particulièrement avec lui. D'un coup, sans que je ne puisse répliquer, il lâcha ma torture. Mes jambes en tremblaient encore, et je n'arrivais tout simplement plus à bouger. J'avais tout de même encore des réflexes et attrapait d'une seule main les menottes qu'il m'avait lancé. L'idée de lui passer les menottes me fit sourire. Sauf que pour lui rendre la monnaie de sa pièce, j'avais dans l'idée de le laisser menotté et de prendre la poudre d'escampette. Heureusement pour lui, je n'étais pas ce genre de personne, alors j'allais l'épargner de mon plan machiavélique. « Garde ça pour tes rêves et tes fantasmes... » J'esquissais un simple sourire. « Même si l'idée me plaît. » Sur ce, je remis les menottes d'où il les avait prit, tout en continuant de le fixer. « Tu me laisses respirer là, ou tu va recommencer ton petit jeu? » Je lui donnais un choix, mais au final je voulais vraiment qu'il choisisse la première option. Recommencer ce petit manège ne m'enchantait franchement pas. Et même si je voulais lui faire payer pour son petit manège, je ne savais vraiment pas comment m'y prendre puisque je n'avais pas connaissance de ses faiblesses. Je me promis de trouver une façon de lui faire perdre ses moyens pour la prochaine fois où il allait essayer de tester mes limites ainsi.